game over / angie

Le casque s’enfonce sur son crâne, appuie sur ses oreilles et elle souffle, Alex. Parce qu’elle le sait, pourtant, que sa tête est trop petite pour qu’elle ait le luxe de s’offrir un casque, qu’elle est condamnée à rester avec les écouteurs qui tombent des oreilles every once in a while, qui font mal, qui sont désagréables (qu’elle perd un peu trop régulièrement), mais elle s’entête, encore et encore. Espère que son crâne parviendra à prendre un peu de volume pour pouvoir garder un casque plus d’une demi-heure. Elle souffle, donc, en replaçant l’objet correctement, essaie de le régler mais il est déjà au max et elle va devoir faire avec – tant pis, la salle d’arcade n’est plus qu’à deux rues d’elle, ça devrait le faire. Elle a les épaules qui se dandinent en rythme – ou presque parce qu’Alex, elle n’a jamais vraiment eu le rythme dans la peau – du charabia approximatif (et vaguement ressemblant aux paroles de la chanson qu’elle écoute) qui s’écoule de ses lèvres. Elle ignore les regards qui lui sont jetés tandis qu’elle parcourt les derniers mètres qui la sépare de son paradis sur Terre (encore mieux que ça, même). Et lorsqu’enfin, elle fait face à la porte, les néons criards permettant de repérer la salle à quelques kilomètres à la ronde et rappelant une ambiance so 80’s qu’elle adore (pas qu’elle ait connu les années quatre-vingt, en réalité, née quelques dix ans après mais tout de même, elle adore cette époque, leur mode extravagante et colorée, les musiques, les films ringards). Elle a le sourit qui fleurit ses lèvres parce qu’elle est ready to kick some ass, aujourd’hui, n’ayant pas encore eu sa dose d’écran et de pixels pour la satisfaire (s’est plutôt injectée une bonne dose de jus de carotte dès le petit déjeuner avant de passer trois longues heures à caresser son lapin nain, sa musaraigne, le chiot qu’elle héberge en attendant de lui trouver un toit et sa tripotée de bébés souris). Elle pousse la porte en grande théâtralité, abaisse son casque, les bras écartés mais seul le responsable de l’accueil shooté au soda et actuellement amorphe par une overdose de total blase lui lance un regard et son enthousiasme retombe un peu. Alex, elle aurait aimé un accueil en fanfare (après tout, elle a totalement aidé à redonné un coup de booste à la salle en proposant de faire un peu de pub auprès de l’entreprise où elle bosse et la plupart des meilleurs clients sont certains de collègues et c’est sans compte le fait qu’elle reste la number one sur la grosse majorité des jeux, TotalAlex imbattable, take that Pixel-Master-Mind).

Elle a les yeux fixés sur Space Invader – l’un des rares jeux qui lui tiennent encore tête et l’empêchent d’accéder au dernier niveau sans la foudroyée brutalement, le siège libre l’incitant à se diriger la tête haute. Elle a les fesses posées sur le cuir, le casque encore autour de son cou, le jeton qui se glisse dans la fente et hop. Le générique ne se fait pas attendre plus longtemps, la musique se mêle aux autres et Alex, elle a déjà une main sur le joystick, les doigts de la main gauche sur l’unique bouton de commande. Oh yeah, she’s ready to kick some butt. Elle plisse les yeux, évite les tirs ennemis, balance quelques tirs ajustés (et pop, c’est ça que de vouloir se frotter à une Super Spy bande d’aliens envahisseurs), dépasse les 42 000 premiers points sans grande difficulté. Les cent mille suivant sont à peine plus compliqué à obtenir, ne lui demande qu’une plus grande concentration. Et c’est là que les choses se corsent. Elle est pourtant habituée à être patiente, Alex, tout comme elle est habituée à ne plus se laisser avoir par un sang trop chaud. Mais, alors qu’elle est sur le point de dépasser les 200 000 points, son vaisseau est touché, sa dernière vie éclate et le fameux GAME OVER apparaît sur son écran. Elle fait la moue, Alex, parce qu’elle n’aime pas bien perdre sur un jeu aussi basique quand elle aide à la fabrication de scénario et de gameplay bien plus sophistiqués. Comme un gosse de dix ans attend pour essayer, elle laisse sa place – surveille d’un œil comment il s’en sort pour s’assurer qu’il ne viendra pas exploser son score trop rapidement – et se dirige plutôt entre les allées, laisse son regard s’attarder sur certains écrans. Elle s’arrête vers Mortal Kombat, un large sourire tandis qu’elle prend place derrière la joueuse pour surveiller son avancée en mode histoire. C’est pas mauvais, y a de bons combos. « Si tu veux vraiment humilier l’adversaire, tu peux faire un Babality. Fais bas, bas, droite, bas, gauche, bas, haut. » Elle pointe l’écran où l’adversaire, une fois éliminé par un magnifique finisher, devrait se transformer un bébé pleurnichard. « Dans celui-ci, y a même des vilains cachés, notamment Reptile, qui est cool, surtout si tu veux pouvoir le débloquer pour ensuite le jouer. » Elle balance ses anecdotes sans se demander si elles sont bienvenues parce qu’Alex, elle a les yeux rivés sur l’écran, avec l’envie de voir cette joueuse grimper dans les hauts scores.

Aujourd’hui, j’avais décidé de sortir de ma tanière. En effet, cela faisait un moment que j’étais resté cloitrée chez moi. Principalement, je jouais, je dormais et surtout je mangeais. J’avais décidé de m’éloigner du vacarme que pouvait avoir la famille Halliwell : la chasse aux démons, très peu pour moi ! Et j’avais toujours l’impression d’être jugée, ce qui n’était pas facile. Alors pour qu’on évite de me harceler, j’avais décidé de m’isoler. Pas de contact, de toute façon je vivais presque sans téléphone. Et lorsqu’on sonnait chez moi, je me méfiais toujours. La seule qui avait mon adresse c’était Pati, mais parce qu’elle, c’était l’exception. Je savais qu’elle acceptait ma vision de la vie, même si elle n’était pas forcément en accord avec cette dernière. Mais aujourd’hui, c’était différent, j’avais besoin de me changer les idées. Et jouer seule, c’était bien, mais j’avais aussi besoin de voir du monde. Ma destination ? Le cybercafé, qui proposait de nombreux stand de jeu. Oui, je n’allais pas faire quelque chose de très culturel, mais au moins, je m’étais le nez dehors. J’avais décidé de laisser Olaf à l’appartement, lui promettant que je reviendrais sans faute. Je ne savais pas s’il aurait été accepté. Et malgré tout, je savais qu’avec un peu de magie, cela n’aurait posé aucun problème. Mais je n’avais pas vraiment envie de me faire repérer.

J’entrais dans le cybercafé et salua brièvement le gérant. J’étais déjà venue, mais je n’étais pas du genre à faire la causette. Du moins, avec ce genre de type. Je m’installais à une machine. Tiens Mortal Kombat. Ce n’était pas mon jeu préféré, mais il ferait amplement l’affaire ! J’y avais déjà joué, mais sans plus. Je préférai les jeux avec plus de réalisme, mais pour une fois je changeais. Les jeux de voiture, c’était bien aussi : mais j’avais la fâcheuse tendance à gagner à chaque fois. Moi blasée ? Non, jamais ! Je continuais de jouer tranquillement, lorsque j’entendis une voie derrière moi. J’écoutais ses remarques concernant le Babylity. Après tout je pouvais apprendre de nouveau truc. De plus, c’était une technique qui fonctionna plutôt bien. Je pris le temps de mettre sur pause, pour me retourner et voir à qui j’avais affaire. Elle était métisse, plutôt menue. Je ne la connaissais pas et ne semblait pas l’avoir déjà croisé ici. Je répondis simplement :

« Plutôt pas mal, merci pour l’aide ! » Puis je continuais de la regarder alors qu’elle m’expliquait autre chose sur le jeu en lui-même. Elle en connaissant des choses, à croire qu’elle passait ses journées à jouer. Après tout, les femmes avaient le droit de passer leur journée sur la console de nos jours. Je répondis alors : « Ah bah tiens, faudra que j’essaie ! Je ne savais pas qu’il y avait des méchants cachés. Tu me montres ? »

Je pointais du doigt la machine. Elle pouvait jouer sur ma partie ou tout simplement recommencer la sienne, peu importe. Mais je voulais aussi voir ses techniques de jeu. J’apprenais énormément simplement en regardant. D’ailleurs, merci les vidéos YouTube qui donnent une tonne d’astuces !

@angie trudeau-halliwell

La tête légèrement penchée par-dessus l’épaule de la joueuse, l’intérêt entièrement porté à l’écran, elle a le sourire qui fleurit sur ses lèvres en voyant la fonction faire son petit effet, ne cherchant pas à dissimuler un ricanement devant la cinématique qui se déclenche automatiquement. Plongée dans le jeu, elle fronce les sourcils quand elle aperçoit PAUSE apparaître sur l’écran et tourne aussitôt la tête en direction de la jeune fille, craignant quelques remarques sur le fait qu’elle l’empêche de jouer comme elle l’entend (ça lui est déjà arrivé, à Alex, parce qu’elle a une légère tendance à venir donner des conseils parfois impromptus et non désirés aux joueurs qu’elle croise mais uniquement parce qu’elle n’aime pas les voir perdre) mais c’est l’inverse qui se produit. Les yeux écarquillés, le sourire venant étirer largement ses lèvres, elle opine du chef lentement, prend place devant la borne. « Je t’en prie, on a souvent tendance à oublier qu’il y a d’autres fatality que les plus basiques et je les trouve toujours plus cool en terme de séquence de fin de combat. Et puis, celle-ci, elle est quand même total cool. » Haussement d’épaule et, les doigts placés sur les boutons, elle reprend la partie débutée. Parfait, elle est déjà en mode histoire – ses scores ne sont pas effacés, parce qu’Alex s’en serait voulu si d’aussi bons résultats avaient été mis aux oubliettes pour qu’elle puisse montrer quelques astuces. Reprenant le même personnage choisi par la brune, elle traverse les rues du jeu jusqu’à reconnaître les coins qui l’intéressent. « Alors pour Reptile, faut venir ici, proche de l’entrée des égouts. Ce qui semble plutôt logique en fait vu le personnage. » Elle n’a pas le temps de froncer les sourcils ou de pincer les lèvres, moins encore de partir dans sa longue théorie sur pourquoi trouver un reptile vers les égouts fait sens dans son esprit rempli d’images de DC Comics – après tout, Killer Croc dans Batman vit dans les égouts et elle est presque certaine que Reptile est un cousin. Peu importe que les univers soient très différents. « L’astuce, c’est qu’il faut réussi à avoir les bons instruments pour pénétrer dans les égouts. Normalement, t’as besoin d’un pied de biche. » Elle vérifie rapidement l’équipement obtenu, grimace quand elle note l’absence du pied. « Bon, ne dis à personne que je t’ai montré comment faire ça, » marmonne-t-elle entre ses dents pour que personne ne leur jette le moindre coup d’œil. Elle appuie successivement sur plusieurs touches et ouvre le menu du jeu, enregistre la partie avant de traficoter les différentes sauvegardes jusqu’à en trouver une possédant un pied de biche et, rejouant avec quelques boutons sur la plateforme, elle retrouve la partie initiale. C’est toujours plus compliqué sur une borne d’arcade que sur sa console, un peu long aussi. Mais, au moins, maintenant, elle est bien armée. De retour dans le jeu, elle utilise le pied pour pénétrer dans les égouts. « Bon, tu vas voir, les égouts, c’est de vrais labyrinthes. Mais en fait, si tu regardes bien l’eau, » elle tend le doigt en direction de l’écran pour en désigner une partie, « y a des traces plus sombres, il suffit de les suivre. Me demande pas ce que c’est censé être car quelque chose me dit que c’est juste dégueulasse. » Bien que, là encore, plutôt cohérent – suivant son conseil, elle parvient finalement à trouver Reptile. A son tour de mettre pause. « Tiens, je te laisse faire le combat, c’est ta partie après tout. » Elle ne laisse pas le temps de répliquer qu’elle glisse déjà d’un pas sur le côté. « Au fait, moi c’est Alex ! Oh tiens, tu veux un truc à boire ou à grignoter ? Je sais pas toi, mais je prendrai bien des pop corns. » Elle désigne l’entrée où se trouve des bornes, prête à courir pour faire l’aller-retour sans rien perdre du combat qui va avoir lieu. No way elle rate ce bottage de miches.